Chapitre VII

Depuis plusieurs jours, le Kalima grondait comme une bête en fureur et, la nuit, les lueurs de son cratère embrasaient le ciel. Pourtant son activité ne se manifestait pas de façon autrement tangible, soit par des coulées de lave ou une pluie de cendres. C’était une colère qui, jusqu’à nouvel ordre, demeurait toute platonique.

Morane et Packart, ce soir-là, étaient assis dans des chaises longues, au bord du lac, buvant du jus de citron glacé. Cela faisait à présent deux semaines que Morane avait fait appel à la force publique et, sous la protection des armes, les travaux de l’usine, menés par une équipe renforcée et triée sur le volet, avançaient rapidement. Aucun attentat n’avait plus été commis. Pour pouvoir surveiller les travaux de façon permanente, Morane et Packart avaient quitté leurs chambres de l’hôtel Centre-Africa, pour s’installer dans deux cabanes construites près des chantiers. Chaque matin, les ouvriers et les monteurs se voyaient soumis à une fouille sévère et une surveillance de chaque instant était exercée.

Ce début de nuit baignait dans un calme absolu. De-ci, de-là, on apercevait la silhouette de quelque gardien et, parfois, le canon d’un fusil ou d’une mitraillette lançait un éclair argenté. Seuls, les borborygmes du Kalima et, parfois, le battement d’un lointain tam-tam, troublaient le silence.

Packart posa sa courte pipe de bruyère devant lui et se frotta les mains avec une sorte de férocité joyeuse.

— Je crois que, cette fois-ci, dit-il, nous tenons le bon bout…

Dans l’ombre, Bob grimaça.

— Le Ciel vous entende, mon vieux Jan, dit-il. Pourtant, si vous voulez connaître mon avis, nos adversaires ne peuvent avoir désarmé ainsi. Ils paraissent trop puissants et trop décidés pour cela. Ma brusque riposte les aura surpris et, à présent, ils attendent avant de nous attaquer à nouveau…

— S’il en est ainsi, qu’attendent-ils, à votre avis ? demanda Packart.

— Tout simplement que le montage de l’usine soit achevé, à quelques jours, deux ou trois au maximum, de la date limite. Si, à ce moment, ils détruisaient votre travail en tout ou en partie, vous auriez bien de la peine à réparer les dégâts avant l’échéance du contrat, qui ne serait pas renouvelé…

Le savant demeura un instant plongé dans ses réflexions.

— Peut-être aurez-vous raison, dit-il au bout d’un moment. Si j’étais à la place de nos ennemis, j’agirais comme vous venez de le dire. Mais comment avec le système de sécurité que vous avez mis au point, parviendraient-ils à détruire l’usine ?

Bob leva son pouce vers le ciel.

— Il suffirait par exemple d’un avion volant à basse altitude et larguant une charge de nitroglycérine, ou quelques bombes au phosphore…

— Vous surestimez les qualités de l’ennemi. Si le bombardier dont vous parlez possède l’habileté du pilote nous ayant assailli l’autre jour, il y a beaucoup de chances pour qu’il mette ses bombes à côté de la cible. Diable, à moins d’être réellement une puissance étrangère, nos adversaires ne disposent quand même pas d’une aviation de combat organisée.

— C’est probable, concéda Bob. Cependant, je viens d’avoir une autre idée, absurde peut-être, mais vous la prendrez pour ce qu’elle vaut…

— Dites toujours. De toute façon, vous ne risquez pas grand-chose…

— Vous m’avez affirmé l’autre jour, continua Bob, que si, pour une raison ou pour une autre, l’équilibre hydrostatique était brusquement rompu sur toute l’étendue du lac, le méthane et l’hydrogène sulfuré s’échapperaient et se répandraient dans l’atmosphère, semant la mort à travers toute la région. Or, il suffit d’une différence de pression d’un kilogramme seulement pour rompre cet équilibre. Peut-être ce résultat pourrait-il être obtenu à l’aide de charges de fond à grande puissance. Une fois la région ruinée, il serait aisé pour nos adversaires de faire endosser la catastrophe à la C.M.C.A. Alors, adieux veaux, vaches, cochons, couvées et concession…

Packart secoua sa pipe contre le talon de sa chaussure, la bourra à nouveau et l’alluma calmement.

— Nos ennemis ne possèdent sans doute pas une imagination aussi fertile que la vôtre, dit-il enfin. En outre, il est peu probable qu’ils réussissent à mettre au point des charges sous-marines d’une puissance suffisante pour dégager la chaleur nécessaire à la rupture de l’équilibre hydrostatique. Néanmoins, mieux vaut ne pas clamer votre idée sur les toits… On ne peut jamais savoir jusqu’à quel point elle séduirait ceux d’en face.

Là-bas, un sourd grondement monta des profondeurs du volcan, et le ciel se teinta d’un rouge plus ardent.

— En parlant de mines de fond, en voilà une de taille, dit Bob en désignant le Kalima. Si ce monstre se mettait réellement en colère, il serait peut-être capable d’envoyer une coulée de lave en fusion jusqu’au fond du lac. Or, si mes souvenirs sont exacts, la lave dégage une température, mesurée au pyroscope[6], de l’ordre de quelques onze cents degrés centigrades. Probablement serait-ce suffisant pour détruire de façon catastrophique l’équilibre de la pression. Il pourrait se produire alors une sorte de réaction en chaîne, et tout le gaz contenu au fond du lac s’échapperait d’un seul coup…

Packart sursauta, laissa échapper sa précieuse pipe et regarda Morane avec effarement.

— À l’occasion, quand vous aurez encore des idées pareilles, prévenez-moi. Je ne crois pas beaucoup à l’efficacité de vos charges de fond, mais avec votre coulée de lave, c’est autre chose. Vous m’avez fait peur pendant un moment. Peut-être faudrait-il en parler à Kreitz et à Bernier. L’un est volcanologue et l’autre chimiste. Ils nous diraient si, comme je le pense, votre supposition pourrait se réaliser…

« Quand même, si c’était possible !… Si c’était possible !…

Les paroles de Morane semblaient avoir littéralement terrorisé Packart. Un petit muscle de ses mâchoires s’était mis à tressauter convulsivement, comme un insecte pris à la glu, et ses mains étaient animées d’un tremblement nerveux…

— Que vous arrive-t-il ? demanda Bob avec étonnement. On dirait que l’on vient de vous annoncer la fin du monde…

Malgré tous ses efforts, Packart ne parvenait pas à retrouver son calme.

— Mais vous ne vous rendez pas compte, disait-il, vous ne vous rendez pas compte !… Vous êtes là à me parler calmement de cette coulée de lave qui s’en irait taquiner la nappe de gaz, au fond du lac, et cela au moment même où le Kalima est peut-être sur le point de nous offrir un feu d’artifice…

Bob se mit à rire.

— Je ne pensais pas que ma théorie, toute gratuite, vous toucherait à ce point, sinon je me serais abstenu…

Un brusque sursaut agita le grand corps de Packart.

— Mais c’est que votre théorie, justement, n’est pas du tout gratuite. Elle pourrait se réaliser, vous m’entendez : ELLE POURRAIT SE RÉALISER !…

Cette fois, Morane ne riait plus.

— Êtes-vous certain de ce que vous dites ?

— Pas tout à fait, mais presque… Il faudrait demander l’avis de Kreitz, de Bernier et de Lamers. Demain, j’irai voir ce dernier à l’hôpital, et je lui parlerai. Quant à Kreitz et à Bernier, je vais leur rendre visite de ce pas…

Bob tendit une main par-dessus l’accoudoir de sa chaise longue et la posa sur le bras de son voisin.

— Pas question, dit-il. Si le bruit se répandait, cela sèmerait la panique dans toute la région. Nos travailleurs déserteraient et nos adversaires y trouveraient leur compte, et comment !… Mieux vaut garder la bouche cousue en attendant une certitude.

— Une certiti… une certitude ? balbutia Packart. Vous allez bien, mon vieux. Pour avoir une certitude quelconque, il faudrait que la catastrophe se produise, et alors il serait trop tard.

— Ne perdons pas notre sang-froid, fit Bob d’une voix assurée. Kreitz est volcanologue. Pas plus tard que demain, je vais partir là-haut, sur le volcan, en sa compagnie, afin d’étudier la situation de plus près. Si Kreitz juge qu’il y a un quelconque danger d’éruption, il sera temps d’aviser. Dans le cas contraire, tout ce qui vient d’être dit demeurera entre vous et moi. Rien qu’entre vous et moi…

Le savant eut un signe de tête affirmatif.

— Je crois que c’est là la solution la plus sage. Mais comment expliquer à Kreitz cette expédition sur le volcan ?

— Il suffira de montrer des craintes pour les installations de l’usine en cas d’éruption. Avec l’hélicoptère, nous serons sur les flancs du Kalima en moins d’un quart d’heure de vol et, si le danger ne se révèle pas immédiat, ce sera là tout simplement une petite promenade de documentation…

Packart leva vers le volcan un visage inquiet.

— Une petite promenade de documentation ? Ouais… Ce grand monsieur au brûle-gueule allumé ne me dit rien qui vaille !…

 

*
* *

 

Le lendemain, à l’aube, un hélicoptère Sikorsky s’élevait au-dessus de l’aérodrome privé de la C.M.C.A. et filait de biais, tel un gigantesque moustique aux ailes affolées, vers la chaîne sinistre des volcans. À bord, en plus du pilote, il y avait Morane, Albert Kreitz, le volcanologue et un Noir nommé Pala, dont la connaissance de la « montagne de feu » pouvait se révéler précieuse.

Kreitz était un homme de taille moyenne, d’une maigreur athlétique et aux traits nettement germaniques. Ses yeux clairs paraissaient être deux morceaux de verre poli enchâssés sous ses paupières.

Par bonds successifs, le Sikorsky s’était élevé jusqu’au sommet de la chaîne initiale, sur laquelle le massif du Kalima proprement dit s’appuyait. Dans le cratère d’un volcan depuis longtemps éteint, vaste cirque de ponce et de lave grisâtre, un village indigène alignait ses huttes rondes, à toits de chaume.

— Les Bayabongo, expliqua Kreitz, en avaient assez de devoir toujours reculer leurs cases devant la progression des laves. Alors, ils ont installé ; leur village dans ce cratère, où ils sont en sécurité.

— Oui, fit Bob, jusqu’au moment où ce cratère lui-même se remettra à cracher. Alors, les Bayabongo auront une drôle de surprise.

— Je ne crois pas qu’il y ait des risques, fit Kreitz. J’ai étudié le Watombi – c’est le nom du volcan éteint – et il me semble bien définitivement hors d’activité.

En dehors des huttes, tout un monde animé se pressait, et des mains se levaient en signe d’amitié. Mais déjà le village était dépassé, et l’hélicoptère se lançait à l’assaut du Kalima lui-même, survolant à présent une brousse dure et sauvage, composée, en grande partie, de ces buissons épineux appelés par les Britanniques du nom significatif de « wait a bit » (attends un peu), parce qu’ils rendent la marche pénible. Un peu partout, larges veines brunâtres rompant la monotonie verte de la jungle, d’anciennes coulées apparaissaient, rappelant aux hommes la présence omnipotente du monstre.

Du doigt, le pilote désigna une aire plane, à mi-chemin entre l’endroit atteint et le sommet du cône.

— Je vais me poser là, et vous continuerez à pied. Plus haut, je cours le risque de ne pas trouver d’endroit propice à l’atterrissage…

Le Sikorsky piqua vers l’aire choisie, se redressa et se posa doucement parmi les broussailles. Morane, Kreitz et Pala, le guide indigène, sautèrent sur le sol et se mirent en route vers le sommet, qui se découpait nettement sur le ciel chargé de vapeurs d’eau à demi condensées par les émanations brûlantes du cratère.

Partout, autour des trois hommes, les « wait a bit » dressaient leurs barrières épineuses, dans lesquelles il fallait trancher à coups de sabre d’abattis. Puis, la lave ayant consumé définitivement la végétation, les obstacles piquants disparurent, pour faire place à la ponce dure, mêlée aux éclats coupants et brillants de l’obsidienne. La marche devint plus pénible encore, dans la masse croulante des cendres barrées de failles laissant échapper des vapeurs fétides, et qu’il fallait contourner.

À un moment donné, Bob, pour éviter un détour, voulut descendre dans une de ces failles, peu profonde. Mais, à peine avait-il touché le fond qu’il se sentit comme écrasé, tandis que, lentement, une taie rougeâtre se posait devant ses yeux. Il eut la sensation d’être attiré vers le haut, et se retrouva, couché sur le dos, au bord de la faille. Kreitz et Pala, le visage anxieux, étaient penchés au-dessus de lui.

— Heureusement que nous vous avons repêché à temps, dit le volcanologue. Quand je vous ai vu vous replier au fond du trou à la façon d’un vieil accordéon, j’ai compris que vous étiez tombé dans une poche d’oxyde de carbone. La prochaine fois, méfiez-vous…

Lorsque Bob eut repris son souffle et aspiré une bouffée d’air relativement pur, l’ascension put être reprise. Il faisait chaud, et les trois hommes furent vite en nage. La poussière grise de scories, qui se levait sous leurs pas en nuées opaques, collait à leurs visages couverts de sueur et les faisait ressembler à des masques de pierre, où seuls, leurs yeux semblaient vivre.

Kreitz leva la tête vers le cratère, maintenant tout proche et se découpant de profil sur le ciel.

— Regardez, dit-il, l’ouverture est nettement dirigée vers le sud-est, et une sorte de rebord protège ce flanc-ci. À la moindre émission de laves, celles-ci s’écouleront donc dans la direction opposée à celle du lac. De cette façon, les installations de la Compagnie n’ont rien à redouter…

— Pouvons-nous atteindre le cratère lui-même ? demanda Bob.

Kreitz haussa les épaules.

— Cela sera totalement inutile à présent. Cependant, si vous voulez, à tout prix, satisfaire votre curiosité, je n’y vois guère d’inconvénient.

La montée reprit, harassante, dans une poussière de ponce et de soufre.

De sourds grondements ébranlaient le sol et tout autour des grimpeurs, des jets de gaz fusaient parfois dans un bruit de soudaine décompression.

— Ça mauvais, Bwana, disait Pala.

Mais les deux Européens, sans se soucier de ses récriminations, l’entraînaient inexorablement à leur suite.

Plus on approchait des bords du cratère, plus le sol devenait brûlant, et l’on pouvait en sentir l’ardeur à travers le cuir pourtant épais des chaussures.

Finalement, Bob eut l’impression que le monde s’arrêtait à ras de ses yeux. Il fit encore deux pas et se trouva sur un étroit rebord, d’où ses regards pouvaient plonger dans la gueule rougeoyante du Kalima. À intervalles réguliers, des gerbes de lapilli, petites bulles de lave vitrifiée, de la grosseur d’un pois, jaillissaient dans l’air et retombaient en une pluie brûlante. Plus rarement, des bombes volcaniques, dont certaines atteignaient la grosseur d’une maison à deux étages bondissaient en ronronnant et s’écrasaient avec un bruit mou dans des éclats de magma en fusion.

Le sol brûlait au point qu’il devenait impossible d’y laisser le pied pendant plus de deux ou trois secondes, et cela forçait les hommes à une sorte de sautillement continuel. Plus bas, dans le cratère lui-même, un tourbillonnement pourpre à moitié voilé par les vapeurs, palpitait, faisant songer à la gorge brûlante d’un dragon crachant son souffle torride et empesté. L’autre côté du cratère, dissimulé par les émanations, demeurait invisible.

— D’ici, vous pouvez juger mieux encore comme la bouche est nettement orientée vers le sud-est, hurlait Kreitz dans l’oreille de Morane pour dominer les rugissements de la montagne. En cas d’émission de laves, celles-ci s’écouleront de ce côté seulement…

Morane eut un signe affirmatif et, malgré son désir de contempler encore ce gouffre flamboyant, vraie porte de l’enfer qui le fascinait, il donna le signal du retour.

Lentement, prenant gare de ne pas se laisser entraîner par l’éboulement des scories et des bombes volcaniques solidifiées, les trois hommes amorcèrent la descente. Plus bas, presque à la limite de la jungle et des cendres, l’hélicoptère les attendait.

Et, soudain, comme ils arrivaient à mi-chemin du Sikorsky, le flanc même du volcan se mit à vivre sous eux. Il y eut une sorte d’éclatement monstrueux, et un souffle brûlant les submergea.

Avant même de comprendre ce qui se passait, Morane, Kreitz et Pala s’étaient mis à l’abri, par une sorte de réflexe collectif, derrière une sorte de ressaut rocheux. Bien leur en prit, car une volée de rocs passa au-dessus de leurs têtes et se mit à dévaler la pente. « L’hélicoptère ! pensa Bob. L’hélicoptère !… » Ce fut avec soulagement qu’il vit le Sikorsky s’arracher du sol et bondir dans les airs au moment même où l’avalanche allait l’atteindre.

Quand le danger fut passé, les trois hommes se redressèrent, et c’est alors que Kreitz poussa un grand cri où la surprise et la terreur se mêlaient.

Entre eux et le cratère, un immense trou rond, qui allait toujours en s’élargissant, s’était ouvert, et un flot de lave en sortait à la façon d’une crème pressée hors de son tube. La masse en fusion s’étalait aussitôt et descendait en roulant sur elle-même tel un monstrueux saurien de feu. Sous l’effet de l’intense chaleur, des bulles naissaient à sa surface et crevaient, dans des bruits gras d’éclatement, en lançant des gerbes de déchets pourpres.

— Un nouveau cratère s’est ouvert, hurla Kreitz, et cette fois, en direction du lac…

Déjà, Morane avait compris. La charge de fond pouvant changer toute la région en désert, était amorcée. Mais déjà, l’énorme masse de matières en fusion, entraînée par la pesanteur, fondait sur les trois hommes. L’air n’était déjà plus qu’un souffle brûlant, à l’odeur soufrée…

Une même panique saisit Morane, Kreitz et Pala. Ils se mirent à dévaler la pente à toute allure, poursuivis par la monstrueuse langue de feu. Mais celle-ci gagnait sur eux, leur brûlant les jambes, le dos et la nuque de façon intolérable. Devant cette mort horrible qui le guettait, Morane ne ressentait aucune résignation, mais une sorte d’épouvante frénétique qui lui nouait la gorge jusqu’à la douleur.

Tout en courant, trébuchant, tombant, se relevant sur la déclivité des éboulis, il jeta un rapide regard autour de lui, et une sorte de râle s’échappa d’entre ses dents serrées. La lave était à gauche, et à droite, se séparant en deux embranchements qui menaçaient de se rejoindre plus bas et de couper toute retraite.

Du doigt, Morane désigna une sorte d’éperon de lave solidifiée, haut de plusieurs mètres, vestige d’une ancienne coulée brisée sans doute par un sursaut du volcan.

— Vite, hurla-t-il. C’est notre seule chance…

Dans une ruée désespérée, les trois hommes bondirent vers l’éperon, tentant de l’atteindre avant la vague enflammée.

Morane y parvint le premier, suivi aussitôt par ses compagnons. Tous trois, d’un commun élan, s’aidant l’un l’autre, s’élevèrent le plus haut possible, à la pointe même du rocher. À présent, ils dominaient d’une dizaine de mètres le flot de lave, qui s’était refermé autour de leur refuge. La chaleur était intense, mais supportable cependant car, l’explosion ayant sans doute brusquement condensé la vapeur d’eau en suspens au-dessus de la montagne, il s’était mis à pleuvoir.

Une grande ombre descendit soudain du ciel. L’hélicoptère ! Dans leur panique, les trois hommes l’avaient oublié. Risquant d’être précipité dans le torrent de feu avec son appareil, le pilote réussit à immobiliser celui-ci à un mètre au-dessus de l’éperon, et Morane, Kreitz et Pala purent se hisser à bord.

Aussitôt l’hélicoptère bondit à nouveau à travers le ciel, filant vers le lac. Il atteignait la chaîne initiale, lorsque le sommet du Kalima se crevassa dans un bruit violent d’explosion, tandis que d’énormes pans de rochers volaient dans tous les sens.

Quand les vapeurs se furent dissipées, Morane put se rendre compte que le nouveau cratère ne faisait à présent plus qu’un avec le grand cratère lui-même. Et, cette fois, l’énorme bouche pourprée était tournée vers le lac et laissait échapper un gigantesque fleuve de magma en fusion. Déjà, ce fleuve, emporté par son propre poids, avait atteint la limite de la brousse qui, toute entière, s’enflammait telle une vaste torche.

 

*
* *

 

L’hélicoptère venait de se poser doucement sur l’aire de l’aérodrome. La Jeep de Packart se rangea à ses côtés.

— Pas de mal ? demanda le savant d’une voix anxieuse.

Morane sauta à terre.

— Ça va dit-il, mais il s’en est fallu de peu que nous soyons grillés comme de vulgaires cacahuètes.

À vrai dire, Kreitz, Pala et lui, avec leurs vêtements brûlés, leurs poils roussis et leurs ecchymoses, n’étaient guère beaux à voir. Tous portaient des brûlures plus ou moins profondes, mais cependant sans gravité. Heureux et fier d’avoir échappé au volcan, le Noir souriait de toutes ses dents. Du doigt, il désigna le Kalima.

— Ça, le diable, là-haut !… dit-il.

Morane le frappa sur l’épaule.

— Va te faire panser à l’infirmerie, dit-il.

Il se tourna vers Packart.

— Il faudrait octroyer une prime de danger à cet homme. Il n’est pas payé pour aller taquiner les portiers de l’enfer. Nous, c’est autre chose.

À son tour, Packart montra le volcan qui continuait à vomir son flot de lave, monstrueux boa serpentant maintenant à travers la jungle enflammée.

— Un fameux feu d’artifice, là-haut, n’est-ce pas ?…

— Et le plus grave, dit Kreitz, c’est que la coulée descend directement vers le lac. Sans doute l’atteindra-t-elle d’ici quelques jours. En tout cas, elle menace directement les installations de la Compagnie.

— Si ce n’était que cela, fit Packart. Vous ne savez pas ce qui nous pend au nez en réalité, mon vieux…

— Que voulez-vous dire ? demanda Kreitz.

— Vous allez le savoir… Rendez-vous chez moi dans une demi-heure. Dites à Bernier et à Xaroff de venir également… À propos, il y a un télégramme pour vous, Bob, de France.

Il tendit le télégramme en question à Morane. Celui-ci l’ouvrit et lut :

 

« Ai reçu rapport Stop. Bien travaillé. Stop. Du vrai boulot à la Morane. Stop. Suis fier vous avoir choisi. Stop. Lamertin. »

 

Avec colère, Bob froissa le télégramme. « Morane le redresseur de torts, hein ? Morane le dur de dur ! Morane la terreur des méchants ! Ouais… »

Il ricana et leva ses regards vers le Kalima. « Je suis venu à bout de pas mal de choses maugréa-t-il, mais si je réussis à venir à bout de ce gros père-là, c’est que vraiment j’ai eu une bonne fée pour marraine… »

La Griffe de Feu
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